Dans l’Hérault, quelle gouvernance pour la gestion de l’eau, notre bien commun ?
L’eau est un bien commun primordial dont l’usage et le partage doivent faire l’objet de concertations citoyennes larges qui s’inscrivent dans l’élaboration de projets communs à long terme.
Joël Delot
Pour lutter contre des projets du Département inadaptés à l’accélération des changements climatiques, et contre la privatisation des ressources en eau, des collectifs de lutte, des citoyennes et citoyens, des organisations politiques syndicales et associatives ont créé le collectif Coord’eau34.
La liste des territoires subissant des restrictions de plus en plus longues de l’usage de l’eau s’agrandit. Les sources se tarissent et le niveau des nappes phréatiques ne cesse de baisser. La situation en Catalogne et dans les Pyrénées Orientales est catastrophique. La région prévoit des sommes colossales pour amener l’eau du Rhône vers ces régions alors que le débit de ce fleuve baisse, entre sécheresse et disparition des glaciers. Et quid des autres villes ?
Dans l’Hérault, de nombreuses communes sont soumises à des pénuries d’eau :
- Cessenon sur Orb : coupure d’eau potable durant une dizaine de jours fin juillet en raison d’un déficit de 150-200 m3 d’eau par jour
- Minervois : alerte canicule de 8h à 17h dans 15 communes du Minervois, entre les 23 et 28 août 2023. Deux bouteilles par personne et par jour ont été mises à disposition par les communes
- Cruzy : deux semi-remorques pour acheminer chaque jour de l’eau du 15 août au 15 septembre 2023
- Courniou : hameau de Marthomi face à une pénurie d’eau depuis le mois d’août 2023. Le département a organisé trois rotations de livraison d’eau par semaine par camion-citerne
- Camplong : manque de pluie depuis deux ans . La source est épuisée et de l’eau est acheminée par camion-citerne
- Saint André de Sangonis : eau polluée avec coupures d’eau en octobre-novembre 2023. Une crise de six semaines pour un coût de 300000 euros.
La régularité du cycle de l’eau est fortement impactée par les changements climatiques. Les prélèvements sont supérieurs à ce que le milieu est capable d’apporter pour maintenir l’équilibre des écosystèmes. Des sommes d’argent public massives sont dépensées pour maintenir un dispositif à bout de souffle au lieu de servir à l’accompagnement des changements de pratique indispensables.

Le département a commencé à capter l’eau du lac Salagou pour irriguer une centaine de vignerons situés à 25 km. Le coût de l’’opération se chiffre déjà à plus de 8 millions d’euros, dont 80% de financements publics. Six autres projets concernant 23 communes sont répertoriés dans un rayon de 15 km2 autour de Brignac. Chaque projet se destine à l’irrigation de la vigne pour un total cumulé de 3000 hectares, nécessitant 3 millions de m3/an et un coût total de 30 millions d’euros. Sachant que le département possède une surproduction de vin… Rappelons que l’INRAE prévoit un déclin du vignoble français et héraultais d’ici 2035, remettant en question la pertinence à moyen-terme de ces investissements. Les raisons évoquées sont la baisse du marché français (-70% en 50 ans), la concurrence des vins étrangers et la taille des exploitations locales, jugées trop petites pour supporter les coûts d’accès à l’eau des retenues.
Le conseil général de l’Hérault prévoit la construction de sept bassines sur les sites de Florensac, Pouzolles, Coulobres, Caussiniojouls, Autignac et Malagas d’une dimension de 10 à 15 ha (équivalent à 15 terrains de foot chacune). Le coût est évalué à 300 millions d’euros, dont 80% d’argent public. L’argument écolo du département consiste à répéter que les bassines (qu’il appelle aujourd’hui retenues hivernales) seraient remplies en hiver avec l’eau du Bas-Rhône. Mais les expert.e.s annoncent une baisse de son débit de 30 % (Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse). L’Espagne a misé largement sur les retenues : l’évaporation a fini par les assécher. Quelles leçons en tirent les décideurs ?

Les communes commencent à bouger.
- Coulobres renonce au projet de retenue d’eau.
- A Malagas, les propriétaires renoncent les uns après les autres. D’autant que le financement des retenues hivernales est compromis. Il n’est pas certain que les budgets nécessaires aient été alloués au projet, compte tenu des restrictions budgétaires au niveau national, régional et départemental. L’Europe n’est pas non plus disposée à financer ce type de projet via les fonds FEDER.
- Montagnac vient de vendre le forage de la Castillonne à la société Cristalline qui va l’exploiter. Cela signifie 1 600 000 bouteilles plastiques par jour, 166 entrées/sorties de camions par jour (cf. site Que Choisir). L’eau du robinet est 65 fois moins chère que l’eau en bouteille. Pour la vente de la Castillonne par Montagnac, l’association « Veille au grain » a déposé une saisie au tribunal judiciaire de Béziers pour contraindre la SAFER à prononcer la résolution d’annulation de cette vente. Nous avons appris que le procureur avait retenu cette saisie.
La lutte s’appuyant sur une information précise permet d’aborder les concertations sur des argumentaires défendus en autre par des scientifiques de différentes spécialités.
A contre-courant des logiques de privatisation et d’accaparement, pour éviter les conflits d’usage sur fond de guerre de l’eau, Coord’eau34 propose un ensemble d’actions concrètes. Elles visent, d’une part, à démocratiser la gouvernance de l’eau (donner plus de place aux citoyen.nes et aux associations environnementales), d’autre part, à financer massivement l’accompagnement et le développement de pratiques paysannes durables (assurer des revenus corrects aux agriculteur.trices et prioriser l’accès à l’eau pour les productions agricoles maraîchères et vivrières…)
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